Lettre ouverte à Emmanuel Macron de la CISEM sur la situation des demandeurs d’asile et de séjour // 23.06.2017
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Lettre ouverte à monsieur Emmanuel MACRON, Président de la République

Copie à monsieur Gérard COLLOMB, ministre de l’Intérieur

 

Monsieur le Président,

Représentants de nombreuses organisations iséroises et syndicats, nous nous adressons à vous en ce début de mandat, pour vous faire part de notre souci citoyen et de notre inquiétude grandissante sur la situation des demandeurs d’asile et de séjour. Presque criminalisés parce qu’ils sont étrangers, ils font de plus en plus l’objet de refus de séjour quasi généralisés sans véritable considération humaine de leurs dossiers et ils sont placés dans des situations incompréhensibles voire kafkaïennes, bien loin des valeurs républicaines de notre pays inscrites au fronton de nos mairies « Liberté, Égalité, Fraternité ». Où sont les exigences d’accueil et de solidarité sur notre territoire, dans notre pays qui s’honore de la Déclaration des Droits de l’Homme lorsqu’on entend à longueur de discours, y compris officiels, que les déboutés (70 % des demandeurs d’asile, au moins 75 % des demandeurs de séjour) n’ont pas vocation à rester en France ? Et que deviennent celles et ceux qui ont déjà déposé des dossiers en préfecture et sont chez nous depuis des années ?

Nous sommes confrontés constamment à des refus de dossiers ou de renouvellement de titres de séjour avec obligation de quitter le territoire assortis d’interdiction de retour de 1 an voire 2 ans ou plus, avec assignation à résidence (signature régulière à l’hôtel de police ou à la gendarmerie), y compris pour des familles depuis de nombreuses années dans notre pays, dont les enfants sont scolarisés dans nos écoles, nos collèges, nos lycées, et alors même que les parents ont des possibilités de travail avérées ou ayant même eu l’autorisation de travailler jusqu’à être des salariés en CDI.

Tout un climat qui nuit gravement à l’équilibre psychologique et affectif et au développement des enfants qui ressentent l’angoisse de leur entourage et vivent dans une constante incertitude, insécurité, précarité qui nuit gravement à leur développement. Nous voyons aussi des jeunes ayant besoin d’avoir un enseignement adapté ne pas pouvoir s’inscrire pour une formation professionnelle s’ils n’ont pas une carte de séjour !

Nous voyons aussi des « isolés » ayant choisi un enseignement court professionnalisant ou des jeunes ayant besoin de formation adaptée, ne pas pouvoir s’inscrire à une formation professionnelle s’ils n’ont pas un titre de séjour avec autorisation de travailler pour effectuer des stages en entreprise prévus dans leurs cursus. Ou encore des jeunes « isolés » travailleurs sans papiers, syndicalisés, livrés à l’exploitation de certains employeurs, à qui on réclame des fiches de paie alors qu’ils n’ont pas le droit au travail pour accéder à un titre de séjour comme salariés et qui pourraient mettre leurs compétences au service de notre pays en accédant au droit commun.

Certes de nouvelles mesures ont été prises récemment pour l’instruction des demandes d’étrangers malades, en accordant aussi le droit au travail aux parents d’enfants malades. Mais il n’y a pas encore eu beaucoup de retours, et nous avons encore beaucoup trop d’étrangers dont l’état de santé est reconnu « d’une gravité certaine » voire même d’une « exceptionnelle gravité » qui ont fait l’objet de refus alors même qu’ils ne peuvent pas accéder dans leur pays d’origine aux traitements qui leur sont nécessaires.

Nous pourrions vous citer des dizaines de situations semblables qui deviennent absolument intolérables et profondément inhumaines. Nous vous demandons d’intervenir auprès du Préfet de l’Isère pour que les situations évoquées soient considérées de façon humaine et positive.

Nous vous demandons également de tout mettre en œuvre pour qu’une véritable régularisation des sans-papiers, qui apporterait notamment une solution au problème dramatique de l’hébergement des migrants, soit instaurée dans notre pays, telle qu’elle eut lieu en 1980 et 1997, et dans d’autres pays européens comme l’Italie, l’Espagne et l’Allemagne, au lieu de ce maillage d’exclusion et de repli frileux sur soi qui met en cause non seulement des milliers de destinées mais aussi les valeurs fondamentales de notre société. Ce serait à l’honneur de la France.

Dans l’attente de votre réponse, avec l’expression de notre haute considération.

Nous aimerions vous présenter quelques exemples significatifs -parmi beaucoup d’autres- de ce constat qui nous accable et nous révolte :

  • Un ressortissant, de nationalité algérienne, et son épouse, menacés dans leur pays, arrivés en France il y a cinq ans, en 2012, avec une petite fille âgée de 3 ans, qui a accompli toute sa scolarité maternelle et termine son année de CE1 : refus de séjour en août 2016, une rentrée scolaire difficile. Le Tribunal administratif valide l’OQTF et l’interdiction de retour mais renvoie en collégiale le refus de séjour qui est donc annulé en demandant au Préfet de reconsidérer cette situation dans les trois mois. M. et Me B. réactualisent en conséquence les promesses d’embauche demandées (décembre 2016). Plusieurs autorisations de séjour de 1 ou 2 mois leur sont accordées…Mais ils sont convoqués le 21 juin… pour retirer un refus de séjour à la fin de l’année scolaire ! Ils se retrouveront à la rentrée de septembre, un an plus tard, dans la même situation !
  • Un jeune Algérien arrivé mineur en France, en septembre 2006, à 17 ans, adopté par sa tante de nationalité française. Tout un parcours scolaire et de formation, des compétences professionnelles avérées. Un frère en situation régulière en France. Août 2016 : il reçoit un refus de séjour, peu de temps avant d’avoir atteint les dix ans de présence en France permettant de demander un titre de séjour selon la Convention franco-algérienne. La Préfecture l’autorise à déposer une nouvelle demande le 28/12/2016 après que son précédent refus et les mesures d’OQTF avec 1 an d’interdiction de retour aient été validés. Mais, nouveau revirement de la préfecture de l’Isère, ce jeune vient de recevoir une convocation également pour le 21 juin 2017 en vue de retirer un refus de séjour ! Le père est décédé, la mère remariée, des liens distendus au bout de 10 ans avec sa fratrie en Algérie. Et maintenant, où est son avenir ? Maintenant, âgé de 28 ans, l’avenir de ce jeune homme n’est-il pas dans notre pays où il est parfaitement intégré ?
  • Une ressortissante, Algérienne, divorcée, arrivée en France en 2006, il y a donc plus de 10 ans. Un parcours exceptionnel d’intégration. Parle notre langue, 7 cartes de séjour et 43 fiches de paie comme salariée, tombe malade, reconnue comme handicapée par la COTOREP, a son propre logement. Reçoit en janvier 2017 un refus de séjour avec OQTF qui ruine tous ses droits sociaux alors qu’elle a besoin d’une nouvelle intervention chirurgicale. Refus validé par le Tribunal administratif qui reconnaît, n’ayant pas été saisi sur ce fondement, ne pas pouvoir se prononcer sur les dix ans de présence en France. Peut-elle déposer cette demande selon la Convention franco-algérienne alors qu’elle est sous le coup d’une OQTF ?
  • Une étudiante (L.)  arrivée de la République démocratique du CONGO (RDC). Elle a été témoin des tortures ayant entraîné la mort de son père, elle en fait part à un journaliste qui sera assassiné un an plus tard. A été arrêtée, violée, violentée puis abandonnée sans jugement dans une cellule pendant deux ans. Ses tortionnaires font référence à son témoignage. Sa famille arrive à la faire sortir de prison. A son arrivée en France elle demande l’asile. Elle n’arrive pas à témoigner à l’OFPRA sur la partie concernant son viol et sa détention. L’assassinat de son père est reconnu mais l’OFPRA juge que ce n’est pas une preuve suffisante. En CNDA : audition expéditive de 10 minutes, confirmation du refus de l’OFPRA. Malgré les témoignages des services psychiatriques et des associations qui l’ont accueillie à son arrivée et qui attestent qu’elle avait tout d’une personne ayant subi un grand traumatisme. Aujourd’hui L. a validé une Licence et s’apprête à commencer un Master. Mais la Préfecture lui a délivré une OQTF et le Tribunal Administratif a confirmé.
  • Mme K., dont le mari, opposant politique dans son pays, a été malgré tout expulsé début octobre 2016 au Congo, et dont elle n’a aucune nouvelle, sauf qu’il est obligé de se cacher pour ne pas être tué. Une élue, intervenant pour la famille, a reçu une lettre du Préfet signifiant que Mme K. ne recevra jamais de titre de séjour ici, qu’elle et ses cinq enfants doivent partir au Congo avec l’aide de l’OFII. !!!
  • L’expulsion d’autres pères sépare les familles, laisse ici femmes et enfants désemparés, ayant perdu leur soutien et ne pouvant pourtant pas quitter la France où ils ont tous leurs liens.

Signature – CISEM (Coordination iséroise de solidarité avec les étrangers migrants), regroupant les organisations suivantes :

  1. ASSOCIATIONS/RÉSEAUX : APARDAP (Association de parrainage républicain de demandeurs d’asile et de protection), CIIP (Centre d’Information Inter-Peuples), Collectif hébergement-Logement, CSRA (Comité de Soutien aux Réfugiés Algériens), Europe-Écologie-Les-Verts Isère, La Patate Chaude, LIFPL (Ligue internationale des Femmes pour la Paix et la Liberté), Ligue des Droits de l’Homme (Isère), RAS L’FRONT Isère, RESF 38 (Réseau Education Sans Frontières), RUSF (Réseau universitaire Sans Frontières)
  2. SYNDICATS : PAS (Pour une Alternative Syndicale), Solidaires Isère- Syndicat Multiprofessionnel des travailleurs sans papiers CGT- UD CGT
  3. PARTIS POLITIQUES : Ensemble Isère !, Europe-Écologie-Les-Verts Isère, NPA, PCOF